Gratuité et démocratisation culturelle
La gratuité est souvent au cœur des débats dès qu’il s’agit de démocratisation culturelle. Ces différentes notions ont été discutées entre bloggueurs et le constat a été vite fait qu’il n’y avait pas d’évidences en la matière.
Voici donc ma contribution sur ce sujet passionnant.
La démocratisation culturelle : un objectif de non résultat.
Tout d’abord la volonté de « démocratisation culturelle » est politiquement contestable. De nombreuses études ont été faites, montrant de Bourdieu à Olivier Donnat, que de nombreux déterminants entraient en jeu, notamment l’éducation et le niveau de vie. Il ne s’agit pas en réalité du « pouvoir d’achat », c’est souvent l’erreur qui est faite, mais plutôt de capital culturel et symbolique, clés nécessaires à l’accès à la culture. A partir de là, poser aux directeurs de structures, aux animateurs socio-culturels, un objectif de démocratisation culturel est une façon de les mettre tout simplement en échec, au lieu d’attaquer le problème à sa source. Aller voir un spectacle n’est que le point de conclusion de tout un parcours qui a commencé au plus jeune âge pour ne pas dire, plusieurs générations plus tôt.
Faut-il être fataliste pour autant ? Non, plus. Je remettais juste en question la volonté de vouloir que toutes les œuvres soient accessibles à tout le monde.
De plus, même sur le sens d’un tel objectif, on peut s’interroger et avec beaucoup de naïveté, se demander s’il est possible et souhaitable de vouloir que tous les individus s’intéressent à un espèce de pot commun indispensable ; aux arts plastiques, à
La gratuité ou la négation du spectateur
On comprend donc bien que la gratuité ne fera pas venir les spectateurs non captifs au départ. Elle est intéressante quand l’envie est déjà existante mais que le porte-monnaie est souffrant.
Culture et argent : une omniprésence abstraite
De plus, on peut également s’interroger sur la valeur de l’art. Nous ne sommes pas dans une culture anglo-saxonne, il n’empêche que l’argent est l’indicateur le mieux compris pour donner une place dans la société actuelle.
Je m'étonne toujours de voir que dans ce milieu la réalité économique soit aussi tendue, précaire, difficile et qu’en même temps l’argent soit une telle abstraction tant pour ses professionnels que pour les spectateurs. Pourquoi râler de mettre de l’argent dans un spectacle qui, souvent avec les réductions, est moins cher qu’une place de ciné et alors même que sa valeur réelle si elle était connue, clouerait le bec au mal-pensant ? Objectivement, dans la plupart des lieux qui mènent une action de médiation culturelle correcte, les spectacles ont des prix accessibles.
On sait que la culture a un apport culturel (la palisse en dirait autant), social mais on oublie qu’elle a un coût, on ne sait même pas quelle est son économie (apports économiques des festivals, d’un événement culturel, d’une politique culturelle…). Cette espèce de pudeur, de tabou en la matière, pour ne pas dire de méconnaissance voire même de mépris nous mettra bien en difficulté, le jour où il faudra préserver sa place à la culture au sein de la société.
La loi Baumol est bien jolie, elle permet de comprendre le système déficitaire de l’économie culturelle, le modèle ne permet pas pour autant de préciser les apports économiques souvent indirects, en terme d’emploi, de lien social, d’attractivité d’une ville etc
Dignité de la personne et accessibilité à l’art
Et à ceux qui viendraient me dire : oui, mais pour les personnes en graves difficultés financières ? Je répondrai que pour l’expérience que j’en ai, il y a aussi une dignité à faire des choix dans la façon de dépenser son petit revenu et des possibilités grâce à notre système français si souvent décrié, en passant par les CAF ou autres organismes.
Et si on veut vraiment être réaliste pour ceux qui sont dans de plus graves situations financières, l’accès à la culture se pose en d’autres termes et se posera de toute façon avec un accompagnement social en médiation : la question du prix du spectacle est ici complètement hors sujet.
Prix de la place de spectacle et responsabilisation du spectateur
Cela pourra paraître étrange mais il s’agit plutôt là d’un constat empirique que j’ai fait lors de l’organisation de festivals notamment, c’est que la gratuité pour un public non captif peut susciter méfiance, indifférence ou irrespect. On n’est plus dans le rituel symbolique du spectateur qui fait la démarche d’acheter sa place pour ensuite prêter toute son attention au spectacle. Il est facile dès lors de ne pas se sentir engager à respecter un horaire, un lieu, un espace, des artistes. La gratuité bizarrement peut amener plus de légèreté dans la démarche. Je ne crois pas que ce soit là l’objectif d’un travail de médiation culturelle.
En mettant un prix modique, il est plus facile d’attirer l’attention : en tant qu’organisateur, on demande à la personne d’investir deux trois euros, c’est un acte qui lie contrat entre celui qui donne l’argent et celui qui le reçoit. Il ne s’agit pas de lui garantir un spectacle qui lui plaira mais de s’engager à se prendre réciproquement au sérieux.
De plus, j’adore l’idée d’amener quelqu’un mettre, même une valeur symbolique dans une proposition artistique et de le faire rentrer dans le rituel du spectacle vivant : il achète sa place, le rendez-vous est fixé, il a un numéro de siège qu’il va chercher, s’asseoir, recevoir sa bible (feuille de soirée), attendre que le noir se fasse, voir le spectacle pour lequel il a fait le choix de donner un peu de ce qui lui appartient, il accepte ce risque, il valide la place de la culture dans sa vie.